Où suis-je ?

Projecteurs et néons aux milles couleurs valsaient au rythme de la musique sur cette piste de dance noire où les étoiles avaient laissé leur place. Une fumée dense se frayait un chemin à travers la foule, se teintant de bleu ou de violet là où les spots de stands de tir clignotaient pour annoncer un gagnant. L’air avait un goût de sucre et l’odeur agréablement familière de crêpes au beurre. Qu’il y eu du béton ou un nuage de Barbe à Papa sous leurs pieds, les derniers fêtards n’auraient pas pu voir la différence mais semblaient fatalement attiré par ce sol repeint au soda et à l’alcool. Les cloches sonnèrent minuit et toutes les princesses avaient troqué leur robe de bal pour des haillons offrant à leur peau la caresse d’une nuit fraîche.

Qu’est-ce que je fais là ?

Le regard hagard, une jeune blonde déambulait entre les stands presque vides. Les quelques derniers joueurs sortaient de leur autotemponeuse en levant leur doigt du milieu vers les forains. Bon nombre bousculèrent la blondinette mais celle-ci comprit vite qu’il n’y avait là pas la volonté d’insulter. L’odeur de la liqueur était si forte autour d’elle qu’elle pouvait le goûter sur le bout de sa langue. Eût-elle été réellement alcoolisé, elle en avait certainement l’apparence. Ses cheveux blonds tombant devant son visage, la jeune fille les tressa avec difficulté dans son dos. Deux yeux à la couleur terne se découvrirent derrière le rideau de blond, enfoncés dans leur orbite et soulignés de vilaine cernes. Occupée à entortiller sa tignasse, elle ne remarqua pas tout de suite les deux armoires à glace qui s’avancèrent vers elle.

« On doit fermer le parc, ma jolie. Pour sortir, c’est par là. »

Papillonnant des cils pour mieux s’acclimater aux lumières vives, la jeune blonde acquiesça timidement, petite souris face à ces deux géants de chair et de muscle. Elle rabattu ses oreilles contre son crâne et se traîna vers la sortie avec un regard en arrière.

Comment suis-je...

Une douce odeur sucrée parvint à ses moustaches, un ronronnement de plaisir réchauffant son ventre et redressant la commissure de ses lèvres. Par l’odeur alléchée, toutes questions trottant dans son esprit s’évanouissaient dans un mélange de caramel et de sucre d’orge. La chaleur des fours rendu le rose à ses joues à mesure qu’elle s’approchait de l’arrière des stands. Petite ombre dans la nuit, elle évita néons et projecteurs pour l’obscurité des coulisses. Elle prit la forme des ténèbres et se fraya un chemin au ras du sol, là où les géants ne pouvaient voir.

Qui suis-je ?

Caméléon dans cet univers de couleurs, Raysun s’était écartée de ce monde aveuglé par les lumières. Et dans cette jungle de caravanes et de tentes, personne ne semblait remarquer le petit caméléon que la faim avait rendu invisible.

Très vite, les stands furent abandonnés par leur gérant et rats et corbeaux purent se jeter sur les restes. Laissant derrière elle une fierté déjà amochée, Raysun attrapa quelques chichis coincés au fond d’une friteuse, une noisette de chocolat sur le bout de son doigt et une pomme laissée là, sans amour. Un petit cri la fit sursauter et pendant un moment, elle crut que c’était son estomac qui manifestait sa bonne fortune.

« Oups » se surprit-elle à dire en remarquant la silhouette qui l’observait dans l’obscurité.