Première épine - Ça braille autour d'elle. Comment a-t-il pu la trahir ainsi ? C'est maman qui beugle sa douleur. Et ça lézarde les murs, apeure jusqu'aux chambranles de la masure. Entre ses doigts, quelques pétales de jeunesse s'étiolent les unes après les autres. Papa n'est plus un héros, malgré l'amour qui transcende de part-en-part. Ce n'est qu'un Homme, avec ce qu'il y a de plus sinueux entre les ventricules. Nanny s'insurge à ses côtés. La vieille dame aux mains calleuses frotte inlassablement son avant-bras. A croire que cela suffirait à laver sa peau du désarroi. Elle baragouine quelques inepties, que Rose n'appréhende pas totalement.
« Les hommes, ah !, les hommes ! » Et elle s'agite plus encore, la duègne !
« Et avec cette sorcière ! Quelle honte, quelle honte ! » « Machiavel » détonne çà-et-là, sorte de litanie souffreteuse qui ne trouve aucun dénouement. Sûr que le maléfice serpente déjà, sûr qu'il gangrène les synapses.
Deuxième épine -
« Machiavel, pas ici !... » Au milieu de la chaussée, la Chimère s'éprend de quelques gloussements éhontés. Maman semble défaillir. Alors elle s'empare de sa Rose, épingle son malheur de femme bafouée jusque dans ses chairs, comme lorsque l'on tend à se raccrocher au temps qui ne cesse sa ronde mortifère. Papa s'ébroue; canasson devenu frénétique par la simple vision de cette succube aux pourtours enchanteurs. Mille mirettes papillonnent devant le drame ridiculement banal.
Triste Vaudeville. Peu-à-peu, les simagrées s'écaillent. Les portraits utopistes dégoulinent de larmes ébènes. Les masques s'effritent.
« Va-t-en, sorcière !... » Qu'il est facile de cracher sur l'Intruse, lorsque le pot-aux-roses se dévoile véritablement aux yeux de tous. Point de remous aux lippes de la jouvencelle. Intriguée, peut-être fascinée par cet Être totalement vêtu de noir, elle ne sourcille pas quand il frôle son tracé. Son souffle lui est dérobé, tandis qu'un baiser incongru s'en vient franchir sa candeur. Une poignée de secondes folâtrent entre les protagonistes éberluent. Puis le néant enlace finalement ses courbes. Le vide s'ouvre. Rose n'est plus qu'une poupée disloquée sur l'asphalte.
« ... jusqu'à ce que l'amour ne vienne l'extirper de sa torpeur, Stefan... » Troisième épine - Le froid frissonne dans ses os. Épuisée, peut-être résignée, la Rose perd de sa superbe. Le néant se fraye chemin pernicieux à travers chacune de ses brises. Où se trouve-t-elle et depuis combien de temps ? Nul le sait, pas même elle. C'est l'obscurité qui gît çà-et-là. Est-ce l'Enfer ? Et elle s'élance parmi les décombres, espérant sans doute échapper à l'épée de Damoclès qui persiste au dessus de sa couronne. Les souvenirs s'épousent et se mélangent. Sorte de pèle-mêle sirupeux dont elle ne reconnaît plus l'essence.
Rose ? Comme le baiser écarlate qui la berce de ténèbres désormais.
Rose ? Mais elle ne sait plus. Et puis il y a ces deux billes impénétrables, qu'elle remarque parfois, lorsque son esprit ne cesse enfin son hérétique course. C'est la
Mort. Souvent, elle se surprend à l'attendre si fort que la brûlure en devient inconvenante.
Adam que se nomme l'étrange Faucheuse, ou peut-être l'a-t-elle simplement baptisé ainsi ? Entre ses lombes, la confusion dévaste jusqu'au ramdam de son myocarde. Elle s'oublie. Et le monde d'autrefois n'est bientôt plus qu'une image fantasque.
Quatrième épine - Les pâles rayons du soleil lui font plisser ses paupières closes. Au loin, quelques pas martèlent le sol.
« Rose. » Rose ? Il lui semble que cela lui vient d'une autre vie. Et, lorsqu'elle s'éveille enfin, plus rien n'a de sens. Il lui faut un moment, avant que son corps ne s'anime véritablement.
« Rose ? » Rose. Elle agite sa caboche encore endolorie.
« Je ne connais pas de Rose... », qu'elle souffle finalement. Un rictus qu'elle n'assimile pas immédiatement trémule sur les lèvres pourpres de son interlocutrice. Ses doigts se frayent alors un chemin méphitique entre ses boucles dorées.
« Tout ira bien, je vais m'occuper de toi, ma rose. » Et d'un geste lascif, efface la traînée carmin au coin de ses lippes.