Une nuée d’oiseaux s’élançaient vers le ciel qu’on pourrait croire fait d’or. A l’ombre des piliers de la Cathédrale, Raysun pouvait être certaine d’y avoir reconnu des corbeaux. Leurs plumes aux reflets parme brillaient là où le soleil couchant venait les caresser. Pourtant, dès qu’elle poussa la lourde porte d’ébène, une brise fraîche aux parfums d’encens embrassant le rose de ses joues, les volatiles prirent les cieux, se dévoilant à la vraie face du Soleil : des colombes. Une plume blanche tomba sur ses bottines. Déconcertée, elle se pencha pour la prendre entre ses doigts, faisant danser les reflets ocre du Soleil sur la surface vierge de la plume. La jeune blonde eut un sourire pour elle, le cachant derrière des cheveux tissés au fil d’or et elle entra dans la Cathédrale, l’obscurité soudaine tournant la plume de Colombe en plume de Jais.
Les flammes des bougies dansaient sensuellement dans de petits foyers de chaque côté de la chapelle. A chacun de ses pas, Raysun se maudissait de briser ce silence sacré et les visages d’hommes et de femmes tordus dans la pierre grimaçaient avec elle. Devant elle, un rayon de soleil vola les milles-et-unes couleurs des vitraux et en peignit les murs de la Cathédrale ainsi que les traits retenus d’un homme se dressant devant la soudaine minuscule poupée blonde. Son visage taillé dans la pierre était ce que la mère pouvait offrir à son nouveau-né, ce qu’une caresse amoureuse s’offre à être : la douceur d’un regard sans yeux qui percent, d’un sourire sans fausse bonnes manières. Couronné de lumière, le Vénéré tendait sa main vers le ciel comme pour retenir ce dernier rayon de soleil, cette chaleur d’une vie que son sculpteur ne lui avait donné qu’à moitié. L’apparence d’un homme mais le cœur d’une Cathédrale. Raysun ferma brusquement les yeux pour enfermer cette vision à jamais dans son esprit. Quand elle les rouvrit, une ombre se dessina à côté de la sienne, écrasant sa petite silhouette par sa stature.

« N'est-il pas splendide ? »

La jeune fille détourna difficilement son regard de l’idole illuminé mais ses yeux ne trouvèrent rien pour le remplacer. Un sillon de lumière doré caressa brièvement les traits durs d’une mâchoire, d’un nez fin et droit et d’une iris indigo.

« Ne sois pas impressionnée mon enfant. Comme chez Lui, tu es ici chez toi. Tu me parais bien trop proche de Lui pour Lui donner l'ombre qu'Il n'apprécierait point. N'est-ce pas ? »

Raysun soupira, sans doute un peu trop fort car les bougies tressaillèrent en face d’elle, faisant s’agiter les ombres intenses du visage de l’Archidiacre. La jeune fille avait erré ce qui lui paraissait une éternité à travers les rues pavées de Faraway, seule. Les jambes en chiffon, elle n’aurait pas eu la force de s’enfuir si autre avait étendu ses griffes sur ses frêles épaules. A la place, elle les laissa se détendre, des mèches de cheveux blonds s’extirpant du drapé ambré qui caressait ses omoplates. L’homme d’âge mûr plongea son regard océan dans le sien, un flot de bienveillance traversant son corps de la tête aux pieds et les vagues d’une sérénité métaphysique apaisant son esprit bouillant. Raysun lui rendit son sourire, le contour d’une phrase difficile à retrouver si loin derrière. A sa grande surprise, ses lèvres se séparèrent et elle s’entendit chuchoter plusieurs mots qui ensemble semblaient fonctionner :

« Je ne suis pas sûre d’être réellement chez moi. C’est la première fois que j’entre dans une… Je suis désolé, je ne devrais peut-être pas… ? »

Elle recula, cherchant dans le regard de l’Archidiacre une main qu’il pourrait lui tendre. A vrai dire, elle n’avait nulle part où aller et bien qu’elle refusât de s’installer là où n’était pas sa place, elle souffrait de n’avoir personne pour lui montrer le chemin. Bien qu’elle eût pris la liberté de fermer la porte du manoir d’Arendelle, profondément, elle sentait une force l’enchaîner à la soumission. Ses poids étaient lourds à tirer jusqu’à la Cathédrale, qu’elle ne trouva que par hasard, et y entrer lui fit comme une brise dans un champ de coquelicot. Un vent infiniment doux et frais pour ne pas arracher les pétales extrêmement fragiles de la fleur. Cette douceur de sentir les liens dans son dos se défaire et de ses poids aux chevilles se fondre dans le marbre. Autant qu’elle se délectait de se sentir légère, la balance penchait toujours et ici, Raysun s’efforçait de ne pas tomber sur l’Homme de Foi qui lui sourit.

« Je… Je ne faisais qu’admirer l’intérieur de votre Cathédrale. Si je vous aie dérangé en quelque façon, je peux repartir. » Elle baissa les yeux, laissant la cascade de cheveux blonds obstruer son visage.  « Je ne saurais pas trop où mais je trouverai bien… »

La jeune fille joua avec la plume blanche dans ses mains, soupirant ces derniers mots entre ses deux lèvres. Ce n’est qu’en entendant un léger hoquet qu’elle comprit qu’elle n’avait décidemment pas été assez discrète. Elle admirait la possibilité de trouver un arbre dehors où elle pourrait dormir, tout cela dans les yeux du Vénéré. Elle n’y trouva rien. Cependant, quand l’Archidiacre éleva la voix, résonnante et claire au milieu du silence des morts, elle vit revivre dans ses yeux un dernier rayon de soleil.
   

« Ne t'excuse pas auprès de moi, veux-tu. Le seul devant qui cracher tu peux, c'est lui. »

La poigne délicate de l’Archidiacre enferma le menton de Raysun, approchant son visage poupon et cramoisi des pieds du Vénéré. Ses yeux écarquillés fixèrent le Bouc aux yeux écorchés, sa carcasse de pierre agonisant sur les dalles de la Cathédrale dans une pétrification similaire à celle de la jeune blonde. Son cœur se mit à battre douloureusement dans sa poitrine, son corps entier frissonnant des tambours qui sonnèrent dans ses tympans. Une nouvelle excuse s’étouffa dans sa gorge ; l’Archidiacre n’avait pas tort. Ses pas l’avaient mené ici et son âme entière lui susurrait qu’elle méritait de se tenir entre ses murs. Que ce soit cette force occulte ou son simple libre-arbitre qui ait guidé ses pas, elle était là maintenant et avait besoin d’aide.

De l’aide. Oui, pour la première fois de sa vie, elle était seule face à un monde dont elle ne connaissait que la préface. Plus de main dans la sienne pour lui montrer le chemin, plus personne derrière elle pour la pousser en avant. Elle s’était élancée dans le vide et personne ne serait là pour l’attraper en bas.

« Il est de toute manière hors de question que tu crèches dehors petite fleur. Tu m'entends ? »

Perdue dans ces pensées noires, Raysun battit des cils pour les passer sous silence, leur râle plein de vérité pressant son cerveau dans sa boîte crânienne. Comme pour apaiser ses tourments profonds, l’Archidiacre caressa la tempe de la jeune fille, coinçant une mèche blonde derrière son oreille. Raysun le suivit du regard, ses muscles contractés sous sa chair.

« Tu es ici chez toi. Raysun. »

Ses lèvres se délièrent brusquement dans un hoquet, un rouge écarlate mordant ses joues et le bout de ses oreilles. Comment.. ? Ses yeux cherchèrent derrière ce rictus dangereux les réponses aux questions que ses cordes vocales n’arrivaient à délivrer. Son esprit en avait manifestement assez des points d'interrogation. Raysun leva son menton, la lumière des bougies dansant sur leurs deux visages contraires.

« Vous me connaissez. »

Passant une main dans ses cheveux, Raysun se détourna de l’ombre chaotique qui se dessinait autour de l’Archidiacre. La blondinette pouvait compter sur les doigts de la main ses amis et connaissances si tôt que sa mémoire commença à fonctionner. Elle se serait souvenue de son charismatique interlocuteur, se serait-il trouvé un jour au domaine d’Arendelle. Cependant, si elle plongeait plus profond, les abysses obstruaient sa vue et le coffre contenant bien de réponses à sa nature restait enfoui derrière cette brume dense que sa mémoire ne parvenait à souffler. Ce reflet trouble d’un passé lointain s’offrait à son esprit bien souvent sans qu’elle puisse goûter à la satisfaction d’en ébaucher un portrait cohérent. Raysun posa ses mains tremblantes sur la corne archée du Bouc, dessinant des formes abstraites à sa surface.

« Vous me connaissez mais je n’ai aucun souvenir de vous. Raysun se tourna enfin vers son interlocuteur, la mèche de cheveux que l'Archidiacre avait rabattu derrière son oreille contestant le choix béni et venant doucement caresser la joue de la jeune fille. Vous devez en savoir bien plus sur mon passé si je ne me souviens pas de vous. »

La jeune blonde serra ses lèvres, ses mains tremblantes non plus de peur mais d’un enthousiasme frénétique. Enfin elle semblait capable d’approcher la flamme d’une bougie sur un souvenir écrit à l’encre éphémère mais elle n’osait pas peur de se brûler. Là voilà seule, sans contraintes et elle s’imposait des chaînes par couardise. Qu’as-tu à perdre de toute façon ? Tu n’as rien.

« Serait-il possible que vous… que vous connaissiez mes parents ? »

 

« Le Connais-tu ? »

Perplexe, Raysun battit des cils en fronçant ses sourcils, brisant la surface de poupée de sa peau poudreuse. L’Archidiacre sembla comprendre sa réflexion et tendit le menton vers le Vénéré, qui de ses yeux uniformes observait un horizon derrière les murs gigantesques de la Cathédrale.

« Le Connais-tu ? Il berce chacun d'entre nous. La plupart tes gens te diront qu'ils ploient devant le ciel ou le soleil, mais il n'est autre que son Humble Royaume. Au-dessus de nous, Ses Yeux te caressent à chaque instant. Et si ton cœur est attentif, tu peux parfois ressentir son écho vibrer contre ton myocarde. »

Raysun déroba son regard du Vénéré, soudain profondément gênée de sa simplicité. Droit et rayonnant, l’Archidiacre avait proféré ces paroles avec l’œil empli d’adoration que la blondinette était trop naïve pour voir. Ses années d’existence pourtant plus longue que ses traits ne laissaient paraître, Raysun était restée une enfant. Elle s’amusait des plaisirs simples d’un goûter avec Gerda collé au four, d’une soirée pleine d’étoiles allongée dans l’herbe fraiche à fantasmer une vie en dehors des ces murs. Voyait-elle dans le ciel les constellations se dessiner, ses pensées n’allaient jamais aussi haut que cela. Les enfants sont insensibles aux faits métaphysiques, c’est dès que la vie les plante de l’autre côté de la grille du domaine que la liberté, l’amour et le désespoir deviennent des poids qui serrent leur gorge.

« Je souhaite tout autant que toi connaître tes origines. Tes origines, et surtout, ce qui compose ta lumière. »

Elle arracha son regard des dalles sous ses pieds, tournant deux grands yeux olive vers l’Archidiacre. Ce n’est que là qu’elle remarqua les deux fils d’or se berçant entre ses doigts. Instinctivement, Raysun prit une mèche de sa chevelure dans sa paume.

« Vous savez donc pour mes dons ? »

Gerda aurait-elle commencé à la chercher ? Aurait-elle révélé son secret en même temps ? Une jeune fille aux cheveux miraculeux, ça ne court pas toutes les rues. Elle ne sût si c’était par inquiétude d’être retrouvée ou seulement par instinct quand elle parlait de son secret mais Raysun se cacha dans l’ombre de l’Archidiacre, s’approchant de sa figure solennelle avec un regard vers les lourdes portes de la Cathédrale.

« Comment avez-vous su ? Seule ma famille est au courant, je ne veux pas que les gens me regardent différemment à cause de ça… »

A mesure qu’elle débitait ces paroles, elle remarqua le regard attentif de l’Archidiacre sur elle et se sentit toute petite. Ses mains cherchèrent anxieusement sa plume qui mystérieusement avait quitté ses doigts.

« Enfin, je veux dire le grand public. J’imagine que le secret est en sécurité avec vous, vous avez l’habitude de garder les paroles scellées dans l’anonymat. Ses commissures se redressèrent timidement. Malheureusement, je ne pense pas vous être de grande utilité. Moi-même je ne comprends pas comment j’ai reçu ce don et pourquoi. »

A nouveau gênée par son ignorance, Raysun quitta la présence du Vénéré pour aller se poser sur un banc non loin. Ses membres anéantis s’évanouirent sous son poids dans un soupir de soulagement.

« Je ne sais ni où je suis née, ni dans quelles circonstances, rien qui ne pourrait expliquer… ça, murmura-t-elle en jetant une mèche de cheveux dans son dos. Je n’ai aucun souvenir de mes parents, qui aurait peut-être pu m’expliquer. Elle pensa à Arenne, sa sœur adoptive, et à son poignard de glace contre sa poitrine. J’ai bien connu la magie près de moi mais rien de similaire. »

Tu peux parfois ressentir son écho vibrer contre ton myocarde. Les paroles de l’Archidiacre apparurent à nouveau dans son enveloppe crânienne. Ses lèvres se resserrent à mesure qu’elle tentait de tisser une toile entre ses différentes réflexions. Elle leva les yeux vers l’Homme de Foi.

« Vous penseriez donc que ce don puisse être en rapport avec votre … IL? »


 

Raysun observait l’Archidiacre se mouvoir sous la charpente de la Cathédrale avec fascination, comme devant un tableau où les coups de pinceaux prenaient vie sous ses yeux. Les bougies jouaient un spectacle d’ombres sur les murs, emplissant la cathédrale d’une lumière dorée vacillante. Tandis que le soleil s’effaçait derrière les vitraux, portant un voile bleu et froid sur la ville, les traits d’Eden étaient peints d’une couleur chaude tranchée par l’obscurité. Spectre ambré, il cheminait entre les piliers et s’approchait de Raysun avec une délicatesse qui inspira la jeune blonde à garder le silence. Les pétales semblaient si fragiles contre ses lèvres qu’elle se figea sur son banc et garda la pose, ses yeux scrutant avec attention la réaction de l’Archidiacre. La fleur inspira longuement sa nouvelle vie, se teintant de pourpre et poudrant ses pétales de pollen. Raysun crut percevoir une lumière dans les yeux d’Eden mais celui-ci s’échappa trop tôt. Il la remit sur ses pieds et tout deux quittèrent la Chapelle.

Tableaux et statues défilaient devant la jeune blonde, médusée par tant d’histoire dont elle ne connaissait pas même le premier chapitre. Elle se laissait guider dans les dédales de couloir, accrochée fermement à cette main que l’Archidiacre lui avait tendue. Peut-être l’enserrait-elle trop fort, elle n’y prenait pas garde, admirant l’architecture du bâtiment avec les yeux d’une novice. Ses pas ne retentirent soudain plus sur le marbre et les bruits de la ville n’étaient que murmures. Armoires et bibliothèques se dressaient autour d’eux plus haut que le Vénéré, encadrant la pièce de bois massif et de millions de couvertures de cuir. Prise de vertige, Raysun observa l’Archidiacre déplacer quelques tomes de la table d’appoint au centre de la pièce. Le brasier des chandeliers couronnait ses crins de jais d’un lierre ocre. Les flammes suivaient ses mouvements à la manière d’une valse qu’elles se n’offrirent qu’en sa compagnie et Raysun remarqua alors que la Cathédrale semblait danser avec lui. L’Archidiacre avait l’allure d’un saint dans sa demeure mais serait-il paru si divin mêlé à la populace ? Derrière la petite fenêtre ovale, un monde radicalement différent s’éveillait dans l’obscurité, un microcosme instable et malicieux que Raysun eut l’occasion de découvrir de nombreuses nuits. Elle retourna son horizon vers l’océan de livres qui environnait la Bibliothèque.

« Il y a de quoi se perdre des journées entières » chuchota-t-elle en déplaçant son index sur les reliures.

Du bout de son doigt, elle retourna dans le temps, visitant pays et contrées dont le nom fit doucement lever la commissure de ses lèvres. Depuis le départ d’Arenne, Gerda passait des nuits enfermée dans sa chambre, ce qui laissa à sa petite sœur adoptive le loisir de vagabonder entre les tomes de la bibliothèque d’Arendelle. Coincée entre deux étagères, elle avait nourri son imagination de contes et fantaisies que Gerda avait autrefois l’habitude d’inventer pour leur amusement.

« Je ne saurais même pas par où commencer. »

Éprise d’une curiosité avide, Raysun parcourut les rangées de tomes sans recherche particulière. Son esprit était affamé d’histoire et ses mains dévorèrent les couvertures avec rapidité, se retenant de les ouvrir par peur d’offenser l’Archidiacre.

« L’Âge de Marbre, Le Rouge et les Moires, Philosophie et Sciences, Lettre à la Rose, … »

Dans un bruit lourd, l’ouvrage que l’Archidiacre avait délogé atterrit sur la table, soulevant un nuage de poussière dans sa chute. Eden laissa ses doigts courir sur la couverture avec la délicatesse d’un amant, laissant le temps à son invitée de s’approcher. Fourmillante d’intérêt, Raysun lui offrit un regard curieux en plus de son entière attention qu’elle ne portait plus vers la porte de la Bibliothèque, close.