A toi, Capucine, mon bourgeon noyé. A toi, Raysun, mon Soleil arraché. A ce mets transparent qui brûle mon œsophage et dissout mes souvenirs... Car oui, tu m'as mis la bague au doigt, ô toi Ombre des Morts; m'a brisé la nuque, ô toi Noire Défunte. A tes délices et ta lumière, je dis adieu, Belle Vie.

Jak t'as dit: procréer tu ne pourras point. L'amour, jamais tu ne connaîtras. L'union charnelle, jamais tu ne goûteras. La famille, jamais tu ne construiras. Alors, dès ton enfance, pauvre fils de Dieu, ton père t'avait déjà réduit à l'état de cadavre errant, un simple être vivant qui ne connaîtra jamais le nectar qu'offre la vie d'un homme. Alors, dans cette bibliothèque aux arabesques noires recouvertes de rosaces blanches et ses arachnides, Adam se noya. Il scrutait les poèmes de rose et de soleil pour réchauffer son cœur. Il dévora ces pages de maux pour panser les siens. Ce que tu ignores, fils, c'est que le Soleil se soustrait des prophéties et brille sur les ambitieux. Alors, seulement âgé de 20 ans, Adam rencontra Capucine. Il la cueillit.

Il se délecta de son nectar, épousa ses formes et ses haleines, croqua ses lèvres et ses postures, caressa ses pétales et sublima son jardin. Il humait son parfum, savourait ses odeurs. Il distillait la rosée sur son pistil.

Il permit à sa clématite de s'épanouir dans cette petite vie pauvre mais fleurit qu'était la leur. Il tentait bien d'offrir à sa fleur un bourgeon, mais la pousse ne prit jamais. Alors, au Soleil il voua ses prières. A l'Eglise il jeta ses appréhensions. La Lumière leur offrit une magnifique poupée blonde.

Mais l'Archidiacre avait été clair: détourner le regard de votre fille et elle s'évanouira dans la forêt. Un jour heureux, les deux amants laissèrent le berceau sur le rebord de la rivière pour s'y abreuver. Capucine détourna le regard une seconde. Les pleurs cessèrent. La belle Raysun, fille de leur jardin, avait disparu. Alors Capucine se laissa choir dans la rivière. Elle autorisa l'eau à pénétrer ses poumons et l'enterrer sous terre.

Privé de son père, de sa femme, de sa fille, Adam rejeta le soleil. Il se noyait dans de noirs poèmes, grattait ses pleurs sur les murs de bois et crachait sa haine dans l'alcool. Jamais sobre, il laissa peu à peu sa vie de distiller dans la douleur. Il n'ouvrait l’œil qu'à la nuit tombée. Un soir, alors qu'il pleurait sur la tombe de sa Fleur, il crut apercevoir son annulaire dépasser de la terre. Alors il lui mit la bague au doigt. Sous une brume épaisse, une ombre fanée fit son apparition et lui rappela qu'il n'était pas destiné à connaître l'amour, l'union charnelle ni la famille.

" Qui es-tu, Capucine ?"
" Ne m'as-tu donc jamais aimé, alors ?"

Sa vie d'antan n'aurait alors été qu'un rêve de Soleil pour mieux l'enterrer ensuite ? Il sentit sa peau s'effriter dans la terre. La brume. La cendre. La pluie. Les Limbes, sa nouvelle maison, aux côtés même de la Mort qu'il venait d'épouser. Alors, Jak avait raison: jamais il ne connaîtra la vie d'un homme. Adam était le premier mari de la Mort.

Des décennie passèrent, parfumée d'une union sans sentiment. Il ne fut pas un jour sans larmes pour le pauvre homme dont le cœur se craquelait un peu plus chaque jour. Chaque baiser donnée par la Mort le détruisait un peu plus et bientôt, il ne ressentit plus rien. Ni la joie, ni la peur. Ni la tristesse, ni l'envie. Ni la haine, ni l'amour. Vide. Une carcasse errante, main dans la main avec sa funeste femme qui ne signifiait rien pour lui. Les âmes qu'il croisait dans les Limbes ne suscitaient aucune émotion en lui. Fantôme - jusqu'au jour où cette sublime Rose apparût dans la brume. Adam crut mourir une seconde fois. Son cœur s'était emballé sur sa chevelure blonde, ses paupières si délicates, ses lèvres si brillantes... Il déposa un baiser à cette créature qui s'éveilla sous ses yeux. Adam se sentait revivre. Ses états d'âme fleurissaient à nouveau. Rose, celle qu'il crût ne jamais pouvoir rencontrer un jour. Une aurore. Jak lui avait dit qu'il ne connaîtra jamais la vie d'un homme, qu'en était-il donc de sa mort ? Elle s'annonçait délicieuse. Mais un beau jour, sa dulcinée s'éveilla. Son âme disparut des Limbes. Adam pleura sa fleur disparue. Alors il arracha les yeux de la mort, les avala tout rond. Il gratta ses lèvres et brûla ses joues. Il lui déchiqueta les doigts jusqu'à récupérer l'alliance qui faisait leur union. Capucine s'effondra dans le néant. Adam, premier mari de la Mort, devint le roi des Limbes. La bague, forgée dans le monde des vivants, imbibées par la Faucheuse elle-même, lui permit de vagabonder entre les deux mondes. Adam ne souhaitait qu'une chose par-dessus tout: retrouver Rose, le chrysanthème de sa tombe, son Soleil. Mais comment épouser une mortelle sans lui faire vivre son calvaire ? Comment préserver sa fleur sans la déraciner ?

Jak t'a dit: la Mort tu seras, d'effrayer les vivants tu te délecteras, d'être craint tu te devras, de tourmenter tu te plairas. La Noirceur sera ton nouveau berceau. Jak t'a dit: procréer tu ne pourras point. L'amour, jamais tu ne connaîtras. L'union charnelle, jamais tu ne goûteras. La famille, jamais tu ne construiras. Alors, dès ton enfance, pauvre fils de Dieu, ton père t'avait déjà réduit à l'état de cadavre errant, un simple être vivant qui ne connaîtra jamais le nectar qu'offre la vie d'un homme.