LA ROSACE DE TES LÈVRES
Adam Dunklereiter ✤ Rose Spindle

❝ The World was on fire. No one could save me but you... ❞

Un brin de répit. Voilà ce qu'elle désirait. Alors, bercée par les pâles rayons lunaires, Rose en occulta le monde. Ramassée entre les bras poussiéreux d'un vieux sofa, elle s'immergeait à travers quelques romances pittoresques. Où se plaçait la réalité dans ce magma sirupeux d'amourettes écœurantes ? Nul part, bien évidemment. Son existence n'avait aucun rapport avec ces effusions insensées. Le cœur au bord du billot, elle contenait péniblement les trémolos de son humeur. Les palabres se mouvaient en une danse saugrenue sous ses mirettes hagardes. Au loin, les chats-huants s'ébrouaient de cette nuit profonde qui ne savait qu'esquisser ombres méphistophéliques sur les cloisons. En proie aux visions d'une chimère lointaine, ses paupières papillonnèrent frénétiquement. Comment savoir si tout ceci n'était pas qu'une simple élucubration de son esprit fébrile ? Pourtant, la Mort rôdait toujours entre ses alvéoles. Et Elle la sentait gangrener jusqu'à ses souffles les plus sinueux. « Folle », qu'ils pensaient d'elle. Sans doute n'avaient-ils pas tort dans le fond. Il lui suffisait de croiser son propre reflet pour s'en persuader elle-même. Voyaient-ils cette lueur pernicieuse dans les tréfonds de son regard ? Cette aura indicible qu'elle ne parvenait pas toujours à estomper malgré le fardage sur ses pommettes roses ? Sûr qu'ils décelaient sans mal le pot-aux-roses. Elle le discernait. Et Machiavel le lui rappelait sans cesse.

Par delà la cime des arbres, là-bas, derrière la fenêtre branlante, Rose laissait quelques stigmates passés lui brûler le poitrail. Des mains éperdues s'affairant çà-et-là sur sa peau d'albâtre, lui dérobaient sursauts et soupirs éhontés. Quelle ignominie que d'éprouver à nouveau la chaleur d'une étreinte fantasmagorique ! L'avait-elle tout bonnement rêvé ? Les susurres entre ses tempes avaient-ils véritablement eu raison d'elle ? Secouant dès lors sa caboche endolorie, elle se surprit à froisser le feuillet délicat du recueil qui lui tenait compagnie jusque-là. Un rire s'en vint l'agiter d'un trouble pudique. Peut-être était-elle bonne à enfermer tout compte fait.

Un vertige lui prit les sens, tandis qu'elle s'apprêtait à lever le camp. Près de son esgourde, un souffle mortifère vint lui caresser le derme. Son myocarde manqua plusieurs battements, puis se cabra comme le ferait un étalon préoccupé. Était-ce encore les vestiges de quelques réminiscences nébuleuses ? L'alizé, peut-être ? Ses phalanges blanchirent d'une poigne tétanique. Néanmoins, ses lèvres s'essayèrent à mimer suppliques et prières. En vain. L'hérésie l'enserrait de son infernal velours. Voilà que le cauchemar recommençait à nouveau. Ce n'était pas la première fois qu'elle pensait flairer l'esquisse d'un au-delà familier. Seulement, Machiavel se gaussait bien trop souvent de ses émois. Alors, elle se terrait derrière un mutisme révoltant et s'efforçait de ne point offrir ses songes au néant.

« - Qui... qui est là ?, parvint-elle cependant à marmonner.

Et d'un bond, regagna l'autre coin de la mansarde. Les yeux ronds comme des billes, Rose scruta longuement le vide. Peut-être s'était-elle assoupie ? Oui, ceci expliquerait cela sans aucun doute. Pourtant, quelque chose l'incita à tendre ses doigts vers... vers quoi ? Elle ne saurait le dire.

- Je sais que vous êtes là !

Cela ne pouvait en être autrement. Elle n'était pas folle, non. Du moins, l'espérait-elle.

- Montrez-vous. »

LA ROSACE DE TES LÈVRES
Adam Dunklereiter ✤ Rose Spindle

❝ The World was on fire. No one could save me but you... ❞

Le néant ronronnait paisiblement en guise de réponse. Ses mirettes s'efforçaient de percer l'immuable, ce qu'elle ne pouvait déceler d'une simple œillade. Mais en vain. Il n'y avait que la nuit pour l'enlacer d'une quelconque présence. La déraison lui prenait la gorge, l'entraînait plus loin encore vers quelques ténèbres qu'elle s'essayait à fuir désespérément. Pourtant, elle éprouvait bel et bien ce miasme nébuleux autour d'elle. Était-ce l'Inanimé, l'Inconscience qui la rappelait à elle ? Rose dissimula son minois entre ses menottes chevrotantes. Son cauchemar serait-il éternel ? A n'en point douter. Machiavel le lui promettait sans cesse, malgré ses rictus plein d'une ardeur dévastatrice. Les serres se recourbèrent dans sa tignasse claire. Ce qu'elle aimerait s'arracher les cheveux, peler la peau de son crâne et broyer l'os jusqu'à la viande suintante. Juste pour ne plus voir les ombres qui persistaient inlassablement au dessus de sa couche. Le myocarde se recroquevilla sous la flanelle, petite éponge de chair et de sang aux sanglots éternels. Aurait-elle droit à sa rédemption, finalement ? Sûrement pas. Le Vide s'évertuait à rappeler ses heures. Et c'est la Mort, qu'elle décelait çà-et-là, à chaque recoins, à chaque détours, non loin d'elle. Des larmes vinrent pleurer sur sa peau d’albâtre. Cette épée de Damoclès, elle la reconnaissait, tandis que son corps s'acharnait à épouser cette chimère qui lui était dévouée depuis longtemps maintenant.

« - Je vous en supplie, qu'elle suffoqua, je vous en supplie...

Point de murmure pour satisfaire sa soif. Seulement ce pincement désarmant entre ses ventricules. Seulement cette asphyxie détonante. Sa paume flatta frénétiquement la gorge blanche, comme pour s'assurer de ne point y sentir d'entrave. Rien. Comme toujours. Sûr qu'elle n'appartenait pas à ce monde. Elle l'avait toujours su. Et désormais... désormais, Rose ne l'assimilait pas. L'univers s'enroulait autour de sa taille, enserrait chacune de ses côtes, l'essoufflait jusqu'à l'étourdir d'un intangible mal. Recroquevillée contre la tapisserie ravagée par les affres du temps, elle se surprit à frémir d'une émotion saugrenue. Ses sens s'éveillaient d'une chaleur incongrue. Reconnaissait-elle cette essence sépulcrale ? Était-ce possible que cela ne résonne en elle de la sorte ?

- Je vous sens.

Et, elle fit un pas vers l'obscurité cuisante. Sa main effleura le pourtour d'une tempe sans même le pressentir. A part ce froid, toujours ce froid grisant qui lui rappelait quelques émois clandestins. Rose se mordit la lèvre afin de réprimer les prémices d'une complainte singulière. Sûr que le feu crépitait éhontément entre ses lombes. Comment était-ce possible ? Elle ferma les yeux une seconde fois, laissant cette vague méphitique dévaster la totalité de son être.

- Je... je vous appartiens... depuis toujours... depuis...

Depuis qu'elle s'était perdue dans les méandres de ses propres songes. Point de résistance, cela étant. Rose s'abandonnait. Comme autrefois, lorsqu'elle se laissait surprendre par les caresses impétueuses de ce mirage, qu'elle désirait plus que de raison.

- Où êtes-vous ?... »